N°8 : « A Vienne qui pourra : cuisine et dires de bon goût » (1951)
Ce livre nous fait remonter le temps, quelques années en arrière, à une époque où Vienne était l'un des plus hauts lieux de la gastronomie mondiale. Il s'agit d'un livre de recettes d'un Chef viennois qui a vécu dans l'ombre de Fernand Point. C'est également un recueil d'anecdotes culinaires humoristiques réunissant plusieurs contributeurs.
L'exemplaire est unique de part son ex-libris, et également en raison de son tirage limité. Il est presque introuvable chez les libraires d'occasion puisqu'il n'a été tiré qu'à 1000 exemplaires en 1951, et qu'il n'a jamais été réédité depuis. Le Catalogue Collectif de France, ou CCFR, qui recense 30 millions de documents conservés dans les bibliothèques publiques ne recense, à part Vienne, qu'un seul exemplaire localisé à la Bibliothèque Nationale.
Le titre de cette rareté est A Vienne qui pourra...cuisine et dires de bon goût. L'imprimeur-éditeur est la société Farré et Freulon, à Chollet. Plusieurs auteurs ont apporté leur contribution dans cette publication.
Tout d'abord, le texte est de Charles Morellet, un Choletais auteur de plusieurs ouvrages dans l'après-guerre et dont la postérité a retenu les traits d'esprit et citations. L'une d'entre elles revient souvent dans les dictionnaires ou les compilations : "Si vous voulez connaître vos vrais amis, habitez un cinquième étage sans ascenseur".
Le propos de l'auteur est illustré par son fils, François Morellet (1926-2016) qui fut un grand artiste d'art contemporain.
La deuxième partie de l'ouvrage est illustrée par Jacques Pruvost, connu pour ses dessins humoristiques qu'il commença à publier dans le Canard enchaîné (1921) puis dans Marianne, Messidor, le Rire, Ridendo, etc.
Le livre de Charles Morellet reçut l'approbation d'une personnalité, le critique Curnonsky.
L'homme est incontournable dans l'univers de la gastronomie. Maurice Edmond Saillant (1872-1956), alias Curnonsky, fut l'un des plus célèbres critiques gastronomiques de son temps.
Auteur prolifique, il participa à la création du Guide Michelin, il publia un best-seller, La France gastronomique, une collection en 28 volumes sur les meilleurs restaurants de France et sur la gastronomie de ses régions. Elu "prince des gastronomes" en 1927 par un jury de restaurateurs et de cuisiniers, il fonda après la guerre la revue Cuisine et Vins de France dont l'ouvrage du même nom édité en 1953 est considéré comme l'une des bibles de la gastronomie française. Son immense notoriété fut à l'origine de nombreux écrits sur sa personne, telle cette récente biographie écrite en 2014 par Jacques Lebeau que l'on peut emprunter à la Médiathèque :
Dans l'avant-propos l'auteur nous livre les raisons de cette publication : souhaitant faire un ouvrage sur les recettes et sur le restaurant de Fernand Point, il avait été contraint d'ajourner son projet faute, pour l'instant, de pouvoir rencontrer l'illustre Chef.
Le projet fut conçu ainsi : publication d'un ouvrage sur un autre restaurant du boulevard de la Pyramide, à Vienne, en guise de tome n°2 paraissant avant le tome 1, puis publication d'un livre sur le restaurant Point comme premier volume.
Ce projet fut effectivement mené à son terme puisqu'un volume a été publié en 1954 : Fais ce que dois ... : Suite et début de A Vienne qui pourra ... Cuisines et dires de bon goût chez le même éditeur, avec les mêmes contributeurs. La Médiathèque de Vienne ne possède malheureusement pas ce livre extrêmement rare.
Mais revenons à A Vienne qui pourra... Le livre est clairement divisé en deux parties.
La première est consacrée aux recettes du "Restaurant du Plan de l'Aiguille" tenu par la famille Laroux à Vienne. Ainsi sont détaillées sept recettes qui donnent l'eau à la bouche : la "Truite amoureuse", le "Gratin à la dauphinoise", les "Ecrevisses à la mère Meny", la "Terrine de volaille du Chef", les "Tuiles amandines", les "Bananes flambées au rhum" et les "Rigottes de chèvre".
Elles sont rédigées sur un ton humoristique propre à l'auteur et qui pourrait paraître aujourd'hui délicieusement surrané.
La deuxième partie est une compilation d'anecdotes sur la gastronomie illustrées par Jacques Pruvost.
En dehors de sa forme désuète, de ses traits d'esprits et de son évocation de la gastronomie viennoise, A Vienne qui pourra... a le mérite de faire sortir de l'ombre le restaurant des Laroux dont le souvenir s'est de nos jours estompé.
Réclame parue dans le Journal de Vienne du 20 mars 1926, collection Médiathèque de Vienne
C'est en 1925 que Jean Laroux (1877-1956) s'établit à Vienne. Quand il racheta le restaurant de M. Mermet, boulevard de la Pyramide à Vienne, qui s'appelait "Restaurant du boulodrome", Jean Laroux était déjà un chef expérimenté. Il fut entre autres Chef particulier pour la famille de Broglie, Chef en Italie au Palais Farnèse de Caprarola. Il changea le nom de l'affaire en "Restaurant du Plan de l'Aiguille" et gagna peu à peu une excellente réputation.
Carte postale, vers 1929, collection Blanchon
Le restaurant était situé presque en face de celui de Fernand Point : de la terrasse ombragée, on pouvait apercevoir les lettres peintes sur le mur d'en face qui signalait la présence de ce grand établissement.
Carte postale, vers 1929, collection Blanchon
Selon les dires de Jean Laroux dans un article du Progrès de 1955, il ne se sentait jamais en concurrence avec Fernand Point : "Nous ne fumes pas concurrents, mais collègues. C'était un maître".
Bien que les deux restaurants ne soient pas du même standing, l'affaire de Jean Laroux jouissait d'une réputation qui dépassait le cadre régional. Point d'étape sur la Nationale 7 (recommandé par le Guide Michelin), le restaurant reçut la visite de plusieurs personnalités, dont l'acteur Fernandel, Michel de Russie ou l'actrice Gaby Morlay.
Collection Société des Amis de Vienne
Jean Laroux fut secondé par son fils Georges que l'on voit sur la photo ci-dessus en train de servir Fernandel (été 1937).
Les Laroux cessèrent leur activité à Vienne l'année du décès de Fernand Point en 1955. Ils se retirèrent à une trentaine de kilomètres dans la commune d'Agnin où Georges tint pendant encore quelques années une auberge.
L'exemplaire de A Vienne qui pourra... conservé à la médiathèque de Vienne est unique au monde : il contient la dédicace, en guise d'ex-libris, de Georges Laroux et de son épouse Mény.
Cette dédicace est datée de 1951, année de la parution de l'ouvrage. Elle est adressée à Prosper Gien (1910-1973), un Viennois bien connu qui était journaliste local et qui fut l'auteur d'articles et d'ouvrages sur Vienne ou sur des Viennois. Le livre a donc appartenu à ce dernier avant d'intégrer la collection patrimoniale de la Médiathèque de Vienne .