N°4 : des ex-libris viennois
Parmi les livres anciens conservés à la Médiathèque de Vienne, quelques uns ont été possédés par des Viennois...
Parmi les livres qui contiennent des marques d’appartenance, ceux qui ont appartenu à des Viennois sont relativement nombreux. Ces ouvrages dont on connaît le ou les anciens possesseurs sont les témoins des brassages des collections de livres à l’intérieur d’une même ville.
L’histoire de la Bibliothèque de Vienne a en effet pour origine le rassemblement de plusieurs bibliothèques pour en former une, la première bibliothèque publique viennoise. Ceci a eu lieu dans les premières années de la Révolution Française. Le gouvernement révolutionnaire avait décidé, en Isère, de créer une bibliothèque par district. Ainsi le district de Vienne fut investi de cette mission, et la bibliothèque publique fut installée dans le collège de Vienne (aujourd’hui Ponsard). L’un des premiers bibliothécaires, l’Abbé Gallet, qui était professeur au collège, dressa un inventaire qui est aujourd’hui conservé aux archives municipales.
Bien que la bibliothèque de Vienne fut quelques années plus tard ravagée par un incendie (1854) il reste dans le fonds actuel quelques livres survivants de l’époque où la collection publique primitive fut constituée. Les ouvrages provenaient de confiscations (biens appartenant au clergé ou à la noblesse) mais aussi d’une partie de la bibliothèque du collège.
Outre les livres rappelant cette période, la bibliothèque de Vienne a, au fil de son histoire, procédé à des acquisitions et reçu des dons abondants qui ont contribué à la constitution de la collection patrimoniale.
Des institutions viennoises
Des ouvrages proviennent d’institutions viennoises, comme ce traité sur les fortifications intitulé : « L’art universel des fortifications, françoises, hollandoises... » et publié en 1674.
Un ex-libris manuscrit en latin nous révèle que cet exemplaire a appartenu (au 18e siècle au moins, d’après la calligraphie) à la maison de l’oratoire de Vienne («ex-libris domus oratori viennensis »).
L’ex-libris est accompagné d’une phrase en latin assez singulière, « nec tibi, nec alteri serviet, sed mihi soli suo domino» dont la traduction donne : « Il ne servira ni à toi, ni à un autre, mais à moi seul son maître ».
Cette maison de l’oratoire était le séminaire de Vienne dont les bâtiments aujourd’hui disparus se tenaient près du champ de Mars (groupe de bâtiments au premier plan à gauche sur la photo).
Plusieurs livres proviennent par ailleurs d’une autre institution qui possédait une bibliothèque pour ses pensionnaires : les hospices de Vienne. Un tampon apposé sur l’une des pages de ce livre de messe en atteste :
Les hospices de Vienne se trouvaient dans le quartier actuel de la rue Ponsard et du jardin de Cybèle. Une partie de la bibliothèque a été récupérée. Après avoir transité aux archives municipales, les livres, essentiellement des œuvres sur la piété, ont été transférés à la Médiathèque.
Des habitants de Vienne
D’autres ouvrages sont rattachés à Vienne par leurs possesseurs. Deux d’entre eux ont eu une importance certaine pour la ville.
Le premier inaugura pour la première fois la fonction de maire, une création de la Révolution de 1789. Il s’agit d’Abel Joseph Pioct qui fut maire de 1790 à 1793. Il a laissé deux ex-libris dans un livre possédé par la bibliothèque, « Oeuvres de Scipion Du Perier... ». Cet ouvrage de droit fut édité à Avignon en 1759.
Les ex-libris d’Abel-Joseph Pioct sont de deux natures, manuscrite et imprimée. L’ex-libris imprimé nous apprend que le premier maire de Vienne était avocat (il indique également un numéro de classement ou d’inventaire), on peut donc relier ce recueil de droit à sa bibliothèque professionnelle.
Le deuxième personnage a connu la célébrité en dehors de Vienne où il est né.
Nicolas Chorier était historien, écrivain et avocat. Il a laissé à la postérité des ouvrages sur l’histoire de Vienne et du Dauphiné, dont il est considéré comme l’un des premiers historiens. Né à Vienne le 1er septembre 1612, il fit des études de droit à Valence puis s’installa comme avocat à Vienne à partir de 1643. Il quitta sa ville natale pour Grenoble en 1659, exerçant son métier d’avocat et celui de procureur. Il y mourut en 1692.
Si l’homme est aujourd’hui connu pour ses ouvrages d’histoire, il traîna longtemps une réputation sulfureuse en tant qu’auteur d’un livre érotique, « l’Académie de Dames », qui circula dans les milieux libertins et qui connut plusieurs éditions. Il fut par ailleurs au centre d’un scandale alors qu’il avait la charge de procureur au Parlement de Grenoble : il fut accusé de concussion (détournement de fonds publics, en version moderne). A l’issue d’un procès, il fût finalement acquitté.
Tout comme Abel-Joseph Pioct, Nicolas Chorier a laissé son ex-libris sur la page de titre d’un livre de droit, qu’il a dû utiliser pour exercer son métier de juriste. C’est un recueil de décrets pris par le parlement de Savoie et qui traite de jurisprudence. Il a été écrit par un savoisien, Antoine Favre, et édité en 1620.
L’ex-libris de Chorier est manuscrit, il a été raturé.
On comprend la raison de cette rature en inspectant le reste de la page de titre : le livre a eu par la suite un autre possesseur, Monsieur Duboys des Galerands qui a inscrit son ex-libris un peu plus bas sur la page :
Ce deuxième propriétaire a ajouté, toujours sur la page de titre, une note manuscrite sur l’auteur du livre : « monsieur favre est mort au mois de mars 1624 » (les notices biographiques sur Favre indiquent qu’il est décédé le 28 février).
De plus, il a laissé un renseignement sur l’une des pages de garde, en latin et en français qui nous permet de mieux le connaître :
M. Duboys était donc avocat au Parlement de Dauphiné en 1723, il y a donc transmission d’un livre de droit au sein d’une même profession.
Enfin, nous retrouvons le cachet de la bibliothèque de Vienne, troisième propriétaire connu, et le dernier en date, de l’oeuvre de Favre.